dimanche 31 janvier 2016

Take Shelter, Jeff Nichols, 2011

Michael Shannon

Curtis LaForche est donc un américain moyen bien sous tout rapport, qui travaille dans une carrière, pendant que sa femme est à la maison pour s'occuper de leur fille sourde et muette, tout en vendant ses créations de couturière sur les marchés le samedi. Cependant, sans aucune raison particulière, Curtis se met à faire des cauchemars dans lesquels de violentes tempêtes menacent à l'horizon. Et au fil des nuits, les tempêtes se mettent à faire rage, et des gens agressifs apparaissent dans ses rêves... jusqu'à ce que son entourage lui-même se mette à le menacer et le persécuter. Curtis devient alors de plus en plus nerveux, et n'a aussi qu'une seule obsession: l'abri anti-tempête qui se trouve au fond du jardin.



Take Shelter, ça aurait pu être un banal film sur la paranoïa en y mêlant le film catastrophe aux jolis effets spéciaux. Cependant, le scenario n'épargne aucun détail dans la dissection qu'il fait de cette horrible maladie qu'est la schizophrénie paranoïde, ni dans l'examen de ce qui en découle et qui fait que la personne qui en souffre est entraînée dans un cercle vicieux: les doutes envers elle-même et les réactions de l'entourage. 


Jessica Chastain

La première sensation qui accable un paranoïaque, c'est la peur panique de quelque chose qu'il a lui même du mal à déterminer et sur quoi il doit reporter un élément. Ici, Curtis a peur de la tempête, de la destruction de ce qu'il possède, en fait de l'anéantissement de son univers et du monde qui l'entoure. Puis vient donc la méfiance, et par la même occasion l'agressivité: quand on se sent menacé, on est sur ses gardes sans arrêt. Et lorsque les hallucinations auditives ou visuelles s'en mêlent, c'est en soi-même que l'on n'arrive même plus à avoir confiance. On est perdu. On en arrive à l'obsession: on se raccroche à quelque chose que l'on pense être une solution. Tout cela sans vouloir en parler à cet entourage en qui on ne fait plus confiance et qui pourtant n'a pas changé, et qui ne nous comprend plus. C'est cela aussi que le film montre bien: soit ces proches s'accrochent à nous et essaient de nous aider à sauver ce que nous sommes en train de perdre de vue, soit il réagissent violemment face à quelqu'un qui est devenu un étranger qu'ils ne comprennent plus car il est incapable de communiquer avec eux sur ce qui lui arrive, et donc, le leur cache.




Là où Take Shelter excelle, c'est dans le petit plus qu'il ajoute et que l'on ne voit pas souvent dans les personnages de paranoïaques au cinéma (je n'en ai pas vu beaucoup ceci dit, j'ai même du mal à me les rappeler, à part Teddy Daniels de Shutter Island qui fait figure d'exception): une réflexion sur le côté "prophète" qu'ils revêtent souvent, détenteurs d'une vérité qu'ils sont les seuls à connaître et en laquelle ils croient dur comme fer, surtout lorsque les hallucinations viennent s'ajouter au problème. Nombre de fois on peut voir dans des fictions des paranos scander "mais je vous dis que....! Vous verrez, vous verrez que j'ai raison!", et bien souvent c'est caricatural au possible. On n'échappe pas à cette scène dans le film, mais à la différence près qu'elle est tournée avec beaucoup de réalisme, et jouée à la perfection par Michael Shannon, parce que ce n'est pas le paranoïaque hirsute et muré dans sa folie que l'on voit, mais celui qui explose et ne demande qu'une chose, c'est qu'au lieu de l'écouter comme le Messie, on lui montre où il en est: c'est paradoxalement dans cette scène de colère monstrueuse qu'apparaît la grande fragilité du personnage. Et c'est franchement beau.



Ajoutez à cela une image très belle toute de bleus, ocres et verts, des acteurs magnifiques, un suspense parfois très impressionnant, et des effets spéciaux sobres mais très efficaces (je pense à de magnifiques ballets d'étourneaux, l'apparition de tornades, ou la danse des éclairs dans un ciel de nuit), et vous avez un film qui mérite vraiment les deux grands prix qu'il a remporté à Cannes et Deauville.

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