Joaquin Phoenix |
Il est des films qui vous
touchent au cœur. Her en est un. Chaque décennie son « feel-good movie », et je
pense que celui-ci, à l’image de Lost in translation et Eternal Sunshine of the
Spotless Mind, en fait partie. Dans un futur que l’on reconnaît comme tel
mais que l’on ne saurait situer, Théodore est écrivain public : il écrit les
lettres et les cartes de vœux des autres, empruntant des sentiments qui ne sont
pas les siens en cherchant dans la vie de leurs propriétaires. Tout au long de
sa journée, il a un assistant qui se trouve être son « OS » (pour operating
system, ou dans notre langue, système d’exploitation). Sa journée se trouve
alors organisée, du réveil au coucher, par cet ange gardien qui veille à ce que
rien ne soit oublié ou qui assiste Theodore dans sa vie professionnelle et
privée. Un jour, Theodore fait l’acquisition d’un nouvel OS, appelé Samantha, à
la voix féminine, rauque, et sensuelle. Il entame une conversation avec cette
intelligence artificielle se développant très vite, et en tombe rapidement
amoureux.
Joaquin Phoenix |
L’idée est magnifique, et
entraîne tout un tas de questions. Celle qui saute aux yeux, c’est la relation
entre l’homme et ses outils technologiques tels que l’ordinateur ou le
smartphone, qui fait déjà office de compagnon fidèle capable de nous donner les
réponses aux questions que nous nous posons, ou de nous dire s’il fera beau.
D’autant plus qu’il a entamé le « dialogue » avec nous il y a peu avec Siri,
développé par Apple, et référence non dissimulée de l’OS de Her. Dans le film,
nous voyons des hommes enfermés dans leurs mondes, parlant à leur alter ego
façonné à leur image et à leur goût sans même se regarder les uns les autres.
La pudeur n’existe plus : personne ne se soucie de personne. Non seulement se
mirent-ils dans leur écran lors de leurs séances de selfies décomplexées,
inconscients du monde qui les entoure, mais encore, lorsqu’ils sont en contact
avec d’autre gens, il s’agit uniquement de leurs amis proches, leur collègue ou
leur famille. Un rendez-vous organisé avec une amie de leurs connaissances
semble alors d’avance compromis. On pratique désormais le sexe « sans contact
».
Joaquin Phoenix |
Une nouvelle gestuelle se
crée également : l’OS accompagne ses informations d’éléments virtuels que
Théodore a le loisir de regarder ou d’envoyer balader de grands gestes aériens,
ou encore s’amuse-t-il à faire avancer un petit personnage au cœur d’un jeu,
comme projeté dans l’air face à lui, à l’aide de petits gestes. Chorégraphie
instinctive et forcée de l’homme et de la voix virtuelle qui l’accompagne tout
au long de sa journée.
Joaquin Phoenix |
Puis nous arrive la
question la plus importante : qu’est-ce qui fait de nous des êtres humains,
qu’est-ce qui fait de la machine un produit de l’homme qui serait incapable de
penser par lui- même, même si l’homme lui en donnait la possibilité ?
Evidemment le problème du corps est au centre de Her. Mais Spike Jonze, aux
commandes de cet habile scénario, même s’il aurait pu se cantonner à ce
problème, nous montre également tant il est important dans une relation de garder
une part de mystère en préservant l’intimité de l’autre. Samantha se développe
rapidement, prend des initiatives, agit comme un être humain, et se laisse
aller à la curiosité, alors dangereuse et impudique tant elle est facile à
assouvir, son rôle étant de gérer la vie de l’être humain qu’elle aime. Mais
alors nous nous apercevons qu’elle ne fait rien de différent de ce qu’une femme
ferait, et qu’au final, ce qui lui manque pour être humaine serait ce corps
doué des cinq sens pour accueillir son esprit bien réel.
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Reste une dernière
question, issue d’une remarque, toute petite, que l’on se fait obligatoirement
durant ce magnifique film. Le fait que Théodore finisse par tomber amoureux de
Samantha est-il uniquement dû à sa voix (magnifique voix de Scarlett Johansson)
ou à son esprit programmé pour correspondre à son idéal ? Cet ange gardien
aurait-il pu être un homme ? Vous savez ce que l’on dit sur le sexe des anges…