dimanche 31 janvier 2016

Black Swan, Darren Aronofsky, 2011

Natalie Portman

Black Swan est un film qui hante. Nina est ballerine dans une compagnie new-yorkaise. Elle vit avec sa mère, ancienne ballerine qui a stoppé sa carrière pour la mettre au monde. Nina a les dents qui rayent le parquet et veut être parfaite. Elle ne vit que pour sa carrière et veut tout contrôler, pendant que sa mère la "préserve" en l'infantilisant totalement au coeur d'un foyer bien tenu, dans une chambre toute rose remplie de peluches. Elle en pince un peu pour le directeur de sa compagnie, mais gentiment: il est pour elle le prince charmant aux yeux duquel il faut être gentille, fragile, mignonne. 


Natalie Portman, Vincent Cassel

Mais quand Nina obtient le rôle principal du Lac des Cygnes et qu'elle doit incarner à la fois le fragile et ingénu cygne blanc, et le cygne noir séducteur et tentateur, elle doit prendre contact avec le monde de la sensualité et de la sexualité qu'elle a toujours refoulé jusqu'ici. Forcément il y a conflit. Ajoutez à cela l'arrivée dans la compagnie d'une nouvelle danseuse qui incarne tout ce qu'elle voudrait être sans se l'avouer - la liberté, la décontraction et la frivolité- et le stress d'être l'étoile d'un spectacle, la pression du travail acharné, et le pétage de plomb n'est pas loin. Nina recommence à se gratter compulsivement et Nina voit des choses...

 



Dès le début, les jalons sont posés: on sent que l'héroïne fragile se contient, refoule quelque chose, qu'elle a déjà été confrontée aux symptômes d'un profond problème psychologique et on sait qu'elle se perdra dedans. Mais ce à quoi on n'est pas vraiment préparé, c'est la justesse avec laquelle le réalisateur réussit à nous montrer à quel point il est flippant de n'avoir de pire ennemi que soi-même. Pas moyen d'en échapper: notre part sombre a jeté son dévolu sur nous-même, elle veut nous faire du mal, on est enfermé avec elle 24h/24 où qu'on soit. Et en plus, quand elle se manifeste, elle ne prévient pas. Le film va crescendo dans l'horreur psychologique et plus Nina se perd, plus on la suit, et plus c'est flippant. D'autant plus que Natalie Portman peut être assez terrifiante dans ses expressions et même sa voix. 


Natalie Portman

En plus d'une histoire forte, le film enchaîne les plans ingénieux jusqu'à un final magnifique, d'une esthétique quasi-parfaite. La danse est magnifiée par la façon dont elle est filmée, et c'est un véritable régal pour les yeux. Les couleurs, les costumes, la mise en scène remplie de symboles, tout est là pour servir cette histoire de narcissisme sadique et d'auto-destruction qui ne peut que laisser des traces, qu'on aime le film ou non. 


Natalie Portman



Take Shelter, Jeff Nichols, 2011

Michael Shannon

Curtis LaForche est donc un américain moyen bien sous tout rapport, qui travaille dans une carrière, pendant que sa femme est à la maison pour s'occuper de leur fille sourde et muette, tout en vendant ses créations de couturière sur les marchés le samedi. Cependant, sans aucune raison particulière, Curtis se met à faire des cauchemars dans lesquels de violentes tempêtes menacent à l'horizon. Et au fil des nuits, les tempêtes se mettent à faire rage, et des gens agressifs apparaissent dans ses rêves... jusqu'à ce que son entourage lui-même se mette à le menacer et le persécuter. Curtis devient alors de plus en plus nerveux, et n'a aussi qu'une seule obsession: l'abri anti-tempête qui se trouve au fond du jardin.



Take Shelter, ça aurait pu être un banal film sur la paranoïa en y mêlant le film catastrophe aux jolis effets spéciaux. Cependant, le scenario n'épargne aucun détail dans la dissection qu'il fait de cette horrible maladie qu'est la schizophrénie paranoïde, ni dans l'examen de ce qui en découle et qui fait que la personne qui en souffre est entraînée dans un cercle vicieux: les doutes envers elle-même et les réactions de l'entourage. 


Jessica Chastain

La première sensation qui accable un paranoïaque, c'est la peur panique de quelque chose qu'il a lui même du mal à déterminer et sur quoi il doit reporter un élément. Ici, Curtis a peur de la tempête, de la destruction de ce qu'il possède, en fait de l'anéantissement de son univers et du monde qui l'entoure. Puis vient donc la méfiance, et par la même occasion l'agressivité: quand on se sent menacé, on est sur ses gardes sans arrêt. Et lorsque les hallucinations auditives ou visuelles s'en mêlent, c'est en soi-même que l'on n'arrive même plus à avoir confiance. On est perdu. On en arrive à l'obsession: on se raccroche à quelque chose que l'on pense être une solution. Tout cela sans vouloir en parler à cet entourage en qui on ne fait plus confiance et qui pourtant n'a pas changé, et qui ne nous comprend plus. C'est cela aussi que le film montre bien: soit ces proches s'accrochent à nous et essaient de nous aider à sauver ce que nous sommes en train de perdre de vue, soit il réagissent violemment face à quelqu'un qui est devenu un étranger qu'ils ne comprennent plus car il est incapable de communiquer avec eux sur ce qui lui arrive, et donc, le leur cache.




Là où Take Shelter excelle, c'est dans le petit plus qu'il ajoute et que l'on ne voit pas souvent dans les personnages de paranoïaques au cinéma (je n'en ai pas vu beaucoup ceci dit, j'ai même du mal à me les rappeler, à part Teddy Daniels de Shutter Island qui fait figure d'exception): une réflexion sur le côté "prophète" qu'ils revêtent souvent, détenteurs d'une vérité qu'ils sont les seuls à connaître et en laquelle ils croient dur comme fer, surtout lorsque les hallucinations viennent s'ajouter au problème. Nombre de fois on peut voir dans des fictions des paranos scander "mais je vous dis que....! Vous verrez, vous verrez que j'ai raison!", et bien souvent c'est caricatural au possible. On n'échappe pas à cette scène dans le film, mais à la différence près qu'elle est tournée avec beaucoup de réalisme, et jouée à la perfection par Michael Shannon, parce que ce n'est pas le paranoïaque hirsute et muré dans sa folie que l'on voit, mais celui qui explose et ne demande qu'une chose, c'est qu'au lieu de l'écouter comme le Messie, on lui montre où il en est: c'est paradoxalement dans cette scène de colère monstrueuse qu'apparaît la grande fragilité du personnage. Et c'est franchement beau.



Ajoutez à cela une image très belle toute de bleus, ocres et verts, des acteurs magnifiques, un suspense parfois très impressionnant, et des effets spéciaux sobres mais très efficaces (je pense à de magnifiques ballets d'étourneaux, l'apparition de tornades, ou la danse des éclairs dans un ciel de nuit), et vous avez un film qui mérite vraiment les deux grands prix qu'il a remporté à Cannes et Deauville.

Carnage, Roman Polanski, 2011


John C.Reilly, Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz


Quand on est petits, dans la cour d'école, on se tape, on se mord, on se tire les cheveux. On est des sauvages, les adultes nous grondent parce que l'on se dispute et qu'on règle parfois nos problèmes en se bagarrant. Zachary et Ethan ont 11 ans, et Zachary "muni d'un bâton" a spontanément rectifié la dentition d'Ethan lors d'une bagarre. Et nous voilà donc témoins d'une réunion courtoise entre les parents des deux enfants pour arranger les choses à l'amiable.


John C.Reilly, Jodie Foster

Parce qu'effectivement, pour éviter ce genre de déconvenues, on nous enseigne l'étiquette, quand on est petit. La politesse. Le savoir vivre. On vous tord le naturel pour le remettre en place: on le chauffe à blanc, et on le bat jusqu'à ce qu'il soit bien solide. Et voilà donc nos quatre adultes, qui ne se connaissaient pas avant, dans une situation plutôt embarrassante: il faut, pour les uns, essayer de ne pas mépriser les autres en ne leur signifiant pas que leur enfant a été mal élevé. Et ces mêmes autres, ne doivent pas, en retour adopter le comportement agressif des parents humiliés se sentant mal jugés par des personnes qui ne les connaissent pas. Tout ça est très stressant: il faut se contenir, il faut rester poli et courtois, et il faut se montrer calme. 


Christoph Waltz, Kate Winslet

Le film est tiré d'une pièce de théâtre, ce qui implique qu'il se passe entièrement dans l'appartement de l'un des deux couples. Deux couples, donc quatre personnes, et quatre type de personnalités représentées: la pacifiste militante pour les droits de l'homme et soucieuse d'une éducation idéale pour les enfants, la snob qui pense essentiellement à l'image qu'elle renvoie, l'optimiste qui se dit que ça n'est pas si grave, et le connard insolent qui n'en a rien à faire. Et nous, nous regardons ce qui se passe dans cette pièce au microscope. On voit le naturel se réchauffer jusqu'à se tordre à nouveau, les méninges se mettre à fumer et se fatiguer à force de discuter et de chercher à avoir le dernier mot dans une histoire dont ils ne connaissent, en réalité, même pas les circonstances exactes. Ajoutez à cela un peu d'alcool, et le tour est joué: l'"étiquette" est "arrachée", et les animaux courtois et policés que sont les adultes se trouvent plus vils et ridicules que ne l'ont été leurs propres enfants. La pacifiste (Jodie Foster) hurle à s'en faire exploser les veines et devenir écarlate; la snob si soucieuse de son apparence (Kate Winslet) devient ce qu'il y a de plus vulgaire et laisse sa dignité lui tomber au niveau des chevilles; l'optimiste (John C. Reilly) se retrouve à voir des problèmes partout, et le connard (Christophe Waltz)... reste un connard. L'appartement se trouve transformé en cour d'école maternelle. 


Kate Winslet, Jodie Foster, Christoph Waltz


Et que fait-on pendant ce temps là, nous? Ben on rigole bien! Mention spéciale pour Kate Winslet qui joue très très bien la fille bourrée. Enfin, qui joue très très bien tout court.

The Social Network, David Fincher, 2010

Andrew Garfield, Jesse Eisenberg

Mark Zuckerberg va à Harvard. Mark Zuckerberg est complexé. Mark Zuckerberg est pourtant un petit génie, mais il n'est pas populaire. Mark Zuckerberg veut absolument faire partie d'une corporation d'étudiants pour avoir l'impression d'être reconnu. Mark Zuckerberg s'approprie les idées d'un autre groupe d'étudiants. Mark Zuckerberg, aidé des sous de son meilleur ami et des relations de Sean Parker (créateur de Napster), crée Facebook. Mark Zuckerger se retrouve avec deux procès aux fesses : les étudiants qui ont eu l'idée de base de ce qui est devenu le plus grand réseau social au monde, et celui qui était son meilleur ami et qui s'est retrouvé sur le banc de touche. Mais on a du mal à savoir si Mark Zuckerberg en a quelque chose à faire. Mark Zuckerberg est le plus jeune milliardaire au monde (26 ans, PDG de Facebook), et on a du mal à savoir si Mark Zuckerberg a au moins un véritable ami. A part Mark Zuckerberg.

Rooney Mara, Jesse Eisenberg


Le film de David Fincher est très bon. En fait, plus j'y pense et plus je l'aime. On y retrouve un peu de l'image et de l'ambiance qu'il y avait dans Seven, surtout, Fight Club aussi un peu. On peut y retrouver également, si l'on veut, l'indice d'un parti pris de faire ressembler par certains côtés Mark Zuckerberg avec Tyler Durden. Pas la folie, pas l'anarchie, mais le fait de dominer ses proches et d'exploser leurs vies si c'est pour arriver à ses fins, que ce soit conscient chez Zuckerberg ou non chez Durden. J'ai lu dans une critique que ce film était un film d'action, bien qu'il n'y ait aucune explosion, pas de poursuites en voiture, pas de braquages, ni quoi que ce soit, un film d'action basé sur la parole et la répartie des personnages. Et bien je suis plutôt d'accord avec ça. Le rythme des phrases, le jeu des acteurs, (oui, même Justin Timberlake) la façon de filmer, et l'enchaînement de notions informatiques impossibles à comprendre si on ne s'y connaît pas un minimum font qu'on ne s'ennuie pas une seconde. 

Jesse Esisenberg


Mais l'intérêt principal de ce film, je crois, c'est que vous vous retrouvez face au créateur de ce qui est désormais au centre des médias, des administrations, de nos vies personnelles et que vous vous rendez compte qu'un seul gosse a réussi à convertir environ un demi milliard de personnes au voyeurisme et au narcissisme qui ont motivé sa volonté de créer Facebook, sans qu'on s'en soit vraiment rendu compte. Mais surtout, ce qu'il y a de touchant dans cette histoire, c'est qu'au fond, malgré avoir obtenu ce qu'il voulait, Mark Zuckerberg a beau être plus que populaire, il ne fera finalement que passer sa vie seul avec lui-même. En conclusion...



Wolfman, Joe Johnston, 2010




Je suis chiffonnée. J'avais hâte de voir Wolfman, je l'avais raté au cinéma. J'aime beaucoup les films à l'ambiance fin XIXe de couleur sombre, d'ambiance lourde et fantastique. Mais là, malgré quelques scènes vraiment intéressantes de délire maladif, et d'autres filmées de façon assez élégantes, on patauge la plupart du temps dans les marais de la lourdeur et de la maladresse où s'embourbe ce qui se veut un hommage aux premiers films de loups garous des premiers temps du cinéma fantastique.


Benicio Del Toro, Emily Blunt


On se retrouve donc face à des effets spéciaux mal maîtrisés, et surtout des loups garous assez ridicules qui ressemblent en réalité plus aux chasseurs qui peuplent les forêts et la campagne de ma région en ce moment : de grosses masses bourrues et poilues qui ne se seraient pas rasées et n'auraient pas non plus fréquenté le dentiste depuis un certain temps. C'est tellement kitsch parfois que c'en est un peu ridicule : comme d'ordinaire, c'est la faute des gitans si y'a des loup-garou, le héros a perdu sa mère quand il était petit (faut bien une raison pour qu'il soit un peu triste) et la retrouve dans la fiancée de son frère (faut bien une raison aussi pour qu'il tombe amoureux), et le papa est mystérieux et presque méchant (faut bien une raison pour qu'il lui en veuille à part le classique Œdipe). Bref, ce n’est pas assez inventif, et c'est frustrant : à la fois c'est beau, mais c'est mal fait, c'est bien joué mais ils auraient jamais dû faire une frange à mon Del Toro qui ressemble à Mireille Matthieu maintenant, c'est gore comme on veut, mais la bébête fait même pas peur, et enfin, le combat final entre deux loups garous aurait pu être vraiment spectaculaire de force et de violence, mais c'est gâché par les mauvais effets et un symbolisme trop évident qui gêne par ses grosses ficelles.

Illustration réalisée pour le film

Bref, j'ai aimé un peu, pas aimé beaucoup. Et ça me chiffonne. Vraiment.


samedi 30 janvier 2016

La Môme, Olivier Dahan, 2007

Marion Cotillard

J'avais un peu peur d'aller voir un film français, d'un jeune réalisateur en vogue, sur Edith Piaf. Ô grandiose culture française! Comme nous aimons nous mirer en Toi! A voir les photos, j'étais intriguée, mais j'avais des haut-le-coeur en me rendant compte que ça m'évoquait un peu la guimauve sur fond d'accordéon et de carte postale parisienne qu'était Le fabuleux destin d'Amélie Poulain. Aimant pourtant beaucoup Marion Cotillard, et curieuse de voir comme elle se serait débrouillée, je me suis décidée à y aller. Chouette!, se disait la mégère en moi, je vais pouvoir encore m'énerver contre les louanges automatiquement distribuées aux actrices qui s'affublent de fausses dents, ou d'un faux nez (non Nicole, ne te vexe pas de la sorte voyons!).


Le noir se fait et à défaut de s'ouvrir directement sur l'enfance morveuse et chétive de Piaf et son cortège de violons, ces derniers sont bien présents mais au sens propre, derrière sa petite silhouette s'apprêtant à chanter Heaven have mercy, et nous, on a déjà les larmes aux yeux. Mince!

Marion Cotillard

S'ensuit un récit complètement décousu fait de différents sauts dans la vie de la chanteuse, dont la cohérence nous échappe un peu parfois. Entre ses différents amants, lieux de résidence, et divers concerts, on finit par s'y retrouver en fonction de sa coiffure et de son état de déchéance, pour s'apercevoir qu'après tout, ce n'est pas la cohérence temporelle qui importe dans ce film, mais celle de l'impact que les différents événements de sa vie ont eu sur Edith Piaf. Ils ont frappé fort. Et nous, on a toujours les larmes aux yeux.


Puis il y a Marion Cotillard. Oui c'est elle, et il est vrai qu'il faut se le répéter assez souvent dans le courant du film pour ne pas se mettre à avoir peur à force de croire voir la véritable Piaf jouer son rôle à l'écran. On ne reconnaît rien de l'actrice. Sous le maquillage, il reste des bouts d'elle, mais à l'intérieur, plus rien, tout est devenu Edith Piaf. Sa voix, ses yeux, des éléments qu'on pouvait croire impossible à transformer, elle les a amenés le plus près possible de ceux de son modèle. La démarche, l'attitude d'une vieille malade, les mains déformées par l'arthrite, rien ne lui a été impossible à recréer. Quand elle chante, c'est Edith que l'on entend, mais le regard, et le jeu de scène sont imités à la perfection. Pour la première fois, j'ai réellement eu la sensation de voir une actrice se faire oublier pour laisser la place à la femme qu'elle incarne. Et c'est une telle preuve de respect qu'on en a encore les larmes aux yeux!


Sylvie Testud, Marion Cotillard

On ressort finalement bouleversé de La Môme, mais pas pour les raisons que l'on se serait imaginé: pendant les deux heures du film, Edith Piaf aura eu l'occasion de nous raconter sa vie à travers ses chansons, le corps de Marion Cotillard, et les yeux d'Olivier Dahan. Qui a dit que les fantômes n'existaient pas?

Babel, Alejandro Gonzales Inarritu, 2006


Boubker Ait El Caid, Saïd Tarchani

J'ai entendu beaucoup de gens dire que le réalisateur se reposait un peu sur ses acquis : une idée de départ et des histoires parallèles qui finissent par se rejoindre en un point d'orgue émotionnel (illustrant l'idée à partir de laquelle le film a été construit), pour se séparer à nouveau. On ne peut pas dire le contraire. Cependant, jamais ce principe n'aura été aussi adéquat que dans Babel : quatre histoires, quatre communautés représentées (des arabes, des latinos, des américains et des japonais), dont les destins se rejoignent autour d'un même événement.


La bande annonce donne le ton immédiatement, expliquant le mythe biblique de la tour de Babel et la naissance des différentes langues parlées sur terre : pour diviser et amoindrir la force des hommes construisant une tour qui pourraient les emmener jusqu'à lui et les élever à son niveau, Dieu, jugeant cette entreprise d'une rare prétention, leur attribue différents dialectes pour les empêcher de se comprendre. L'affiche donne, elle, un indice de plus : elle nous demande d'écouter. Et c'est effectivement ce sur quoi le film insiste : d'un bout à l'autre de l'histoire, on est en présence de personnes qui parlent beaucoup, toutes haussant la voix pour se faire entendre (même lorsqu'elles parlent la même langue) sans prêter d'oreille attentive. Tout ce petit monde se débat, mais personne n'est entendu, chacun est seul. Barrière de la langue et défaut de communication, mais aussi parfois barrière de la culture (préjugés que certaines castes développent vis à vis des autres civilisations soi-disant moins évoluées), et des capacités sensorielles : l'un des personnages est enfermé dans sa surdité et son mutisme au milieu d'une société hyperactive. Mais ça n'est pas encore cet aspect du film, pourtant déjà très réussi qui m'aura le plus marquée.

Cate Blanchett, Brad Pitt

Ce qui m'a frappée, c'est que le film rend compte d'une tension angoissante entre le grand et le petit : un petit évènement qui peut impliquer quelques personnes disséminées aux quatre coins de la planète sans qu'elles s'en rendent compte réellement. Et tout au long du film, se produit le glissement des espaces immenses inspirant la plénitude, ou des villes grouillantes, vers des endroits désolés, empreints de solitude, ou clos, pour finalement nous rappeler que bien que cette planète soit peuplée de milliards d'habitants, répartis plus ou moins régulièrement sur sa surface, il est pourtant possible de s'y sentir confiné, extrêmement à l'étroit ou seuls, où que l'on se trouve.

Adriana Barraza

Toute cette tension et ce brouhaha de mots lâchés les uns par-dessus les autres viennent illustrer quatre histoires émouvantes qui prouvent à elles seules que ceux qui se croient séparés par une incapacité à communiquer peuvent se voir réunis au cœur d'un événement dramatique; que ceux qu'une tragédie a séparés peuvent finalement se comprendre grâce à un simple geste ou un regard; ou alors qu'au contraire ceux qui pensent être à l'écoute peuvent s'avérer inattentifs et incapables de comprendre. Les mots ne sont pas tout, le langage du corps et du cœur est universel.


Enfin pour accompagner cette histoire, le réalisateur nous offre des moments de simple contemplation, s'attardant sur la beauté d'un paysage, d'un visage ou d'un mouvement, portés par une musique cosmopolite et intemporelle.

Rinko Kikuchi

Babel est une oeuvre vaste à la mesure du mythe auquel elle rend hommage.

Marie-Antoinette, Sofia Coppola, 2006

Kirsten Dunst

Je suis fâchée. Fâchée après les historiens méticuleux qui refusent que l'on puisse interpéter leur sacro-sainte Histoire et qui ne jurent que par les films historiques aussi rigides que des corsets; je ne dis pas par là qu'ils sont mauvais, attention à ne pas se méprendre. Mais je maintiens préférer être conduite à m'intéresser sérieusement à un évènement historique ou une époque par le biais d'oeuvres qui nous rendent ces figures du passé plus humaines. Mais voilà, il y a cette maudite bienséance qui poussent les intriguants poussiéreux à crier au scandale... D'autant plus qu'avec Marie-Antoinette, ce sont les américains qui sont accusés de remanier l'Histoire à leur façon.


Scandale: il y a quatre siècles, les artistes italiens ont remanié l'histoire biblique à leur façon en vêtant Jésus et ses apôtres à la mode de leur temps!


Scandale: il y a trois siècles, on a bousillé la carrière de Corneille pour avoir fait parler français sa Chimène espagnole dans Le Cid!


Scandale: il y a deux siècles, Hernani de Victor Hugo a fait hurler des hordes de conservateurs poussiérieux pour avoir remanié l'histoire espagnole; la famille Dumas a eu l'audace de ne pas faire de ses Trois Mousquetaires et autres Comte de Montecristo, des documentaires figés sur l'histoire des temps de Louis XIV et, au contraire, de la romancer!


Les américains n'ont pas d'histoire ou si peu... Mais pas de scandale prudement offusqué à la sortie de The Crucible d'Arthur Miller (pièce de théâtre mettant méchamment le doigt sur les motivations réelles de la chasse aux sorcières de Salem, en romançant évidemment). Et pas de scandale à la sortie de Gangs of New York. Non pas que je me mette dans quelque camp que ce soit. Mais je leur concède tout de même une certaine ouverture d'esprit mêlée à une inventivité créatrice qui a pu également leur permettre de transposer dans l'univers de notre époque une pièce élisabethaine aussi connue que Roméo et Juliette. Je m'égare peut-être un peu mais là où je ne le fais pas, c'est en constatant que notre pédantisme de français engoncés dans la préciosité de notre histoire culturelle est si rigide qu'apparemment une seule tentative d'interprétation peut apparemment le pousser à se sentir menacé! Quatre siècle des mêmes scandales!!


(au premier plan) Kirsten Dunst, Jason Schwartzman, Rose Byrne

A cela, bien sûr, on peut m'objecter que les personnages dont je parle ici sont uniquement fictifs, alors que Marie-Antoinette est un personnage historique. Mais je maintiens alors que dans Les Trois Mousquetaires et ou encore Les ferrets de la Reine, les personnages historiques interviennent régulièrement. Ainsi que dans beaucoup de romans de genre historique, comme Les Rois Maudits de Maurice Druon, pour ne citer que cet ouvrage.


J'ai enfin eu l'occasion de voir Marie-Antoinette. Et j'ai été enchantée: la fraîcheur qui se dégage de ce film nous élève un peu plus vers une atmosphère éthérée, et le château de Versailles est merveilleusement mis en valeur par les couleurs, les costumes et la prestances des acteurs qui le peuplent durant ces deux heures de tableau mouvant. Le personnage même de Marie-Antoinette y est montré comme extrêmement attachant, bouleversée très jeune par son arrachement à ses habitudes et sa découverte brutale d'un pays et d'une cour où les coutumes lui sont étrangères. Encore une fois, c'est plus le passage à l'âge adulte que Sofia Coppola nous dépeint sous prétexte d'illustrer la vie de la reine. Et quand bien même, elle se paraphrase comme l'aiment à dire les critiques les plus acerbes, en tant qu'éternelle adolescente, je ne m'en lasse pas.


Toute cette musique moderne sur des scènes du XVIIIe siècle? Les plus attentifs auront remarqué qu'elles sont placées sur des moments qui se penchent sur la vie intime de la reine, et illustrent plus son état d'esprit et son humeur. Il s'en trouve tout de même sur une scène (magnifique) de bal masqué? Celui qui justement transportera Marie-Antoinette hors de son carcan social habituel et où elle pourra à loisir laisser éclater sa véritable personnalité sous couvert du masque qui la dissimule! Et l'on jubile avec elle. Les musiques tirées de notre temps nous rendent les distractions de l'époque plus accessibles et l'on imagine mieux la joie palpable à ces occasions alors que nous-mêmes avons désormais beaucoup de mal à imaginer danser sur les menuets de Couperin ou Rameau. Et au plus mauvaise langues, j'objecterai que ce dernier est représenté dans la bande son du film tout de même.


(au premier plan) Rose Byrne, (au centre) Kirsten Dunst


Oui j'ai été agréablement surprise par Marie-Antoinette et deux jours après être allée le voir, mon esprit se délecte encore de son ambiance de fête et de ses couleurs droit sorties d'un tableau du XVIIIe siècle: comme je me suis délectée du lever de soleil auquel assistent la reine et ses amis dans les jardins de Versailles!


Un bon point, Mademoiselle Coppola!

Tideland, Terry Gilliam, 2006


Jodelle Ferland


Il était une fois un réalisateur nommé Albert Dupontel. Enthousiaste à propos du dernier film de son copain Terry Gilliam, il avait laissé un article dithyrambique sur son blog à son propos, ce qui ne manqua pas de m'intéresser dans la mesure où Las Vegas Parano fait partie de mon panthéon et où je fais toujours confiance à l'avis de l'artiste. Je décidai donc de faire l'acquisition du film, espérant que ma réaction ne soit pas la tiède attention qu'avait suscité en moi Les frères Grimm (même si Monica Bellucci est à elle toute seule ce qui gâche le film).



C'est alors que j'ai eu le plaisir de découvrir que Terry Gilliam avait eu la bonne idée, guidé par la trame scénaristique que consituait le roman de Mitch Cullin, de reprendre le principe du conte fantastique pour nous dépeindre l'histoire de Jeliza Rose. Cette petite Cendrillon qui prépare les fix de son papa, masse les jambes de sa maman qui ne rate pas une occasion de lui hurler dessus dès qu'elle essaie de lui piquer un carré de ses tablettes de chocolat. Son chevalier servant de papa lui promet de l'emmener au Jutland d'ici peu, et ceci suffit à faire rêver notre brave gamine. Toute cette petite famille vit heureuse jusqu'à la mort théâtrale de la vilaine maman junkie et c'est alors le départ pour un endroit paumé mais idéal pour une enfant plein d'imagination.


Jodelle Ferland, Jeff Bridges

Il est tout à fait compréhensible qu'un artiste comme Albert Dupontel ait aimé ce film: c'est extrêmement bien filmé, excellemment joué, mais aussi cynique, acide, et malsain. Là où Tideland résume bien l'oeuvre de Terry Gilliam, c'est qu'on y retrouve la galerie de personnages tous plus étranges les uns que les autres, parfois bourrés de tics, parfois caricaturaux, mais toujours fascinants. A cela s'ajoute l'ambiance des conte de fées: pas ceux auxquels s'intéresse Disney, mais ceux dans lesquels se côtoient l'horreur et le merveilleux (un peu ceux des Frères Grimm?), aventure extraordinaire d'une petite fille perdue dans un monde sans repères. La preuve en est l'explicite et constante citation d'Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll. A travers l'humour grinçant, le caustique associé au merveilleux et à la légèreté du point de vue d'une enfant, Terry Gilliam nous montre des scènes d'une incongruité et d'une audace à peine dissimulées. Au point peut-être d'en choquer certains.


Jodelle Ferland

Quelques personnes ont été déçues par Tideland, dit-on, peut-être ont-elles été frappées de voir le portrait d'une enfant confrontée à des choses aussi crues que la drogue, la mort... Mais les choses semblent tant glisser sur elle, son imagination et sa joie de vivre l'aidant à tirer parti et repousser l'horreur de sa situation qu'elle semble promise à une vie de bonheur éternel. Et rien que pour cette leçon d'optimisme, on a envie de remercier notre Terry Gilliam d'avoir su si bien mettre toutes les meilleures facettes de son oeuvre et de sa personnalité dans ce magnifique film!

Inland Empire, David Lynch, 2006

Carolina Gruzska

Inland Empire est mon petit événement personnel. Depuis six ans que David Lynch nous couvait quelque chose, le voilà qui accouche d'un nouveau machin bizarre à consommer avec plus ou moins de modération. Le truc, c'est que moi j'adore faire des overdoses de ces gourmandises là. J'avais cependant un peu peur d'être déçue après avoir entendu certains dire que ce dernier film était une bouillie inassimilable pour l'esprit, suite sans logique de scènes plurivoques. Je m'attendais à manger du David Lynch en crise de mysticisme et de philosophie de l'absurde caricaturale, sur le bord du précipice desquels il aime parfois se promener dangereusement.

Et bien j'ai cru avoir raison lorsque, malgré une introduction tonitruante à vous en mettre des frissons qui a eu le mérite de faire sursauter la salle en choeur dès le générique, une vieille femme vient expliquer à sa voisine qu'hier c'est en réalité demain pour ensuite lui raconter d'énigmatiques histoires de petits garçons et petites filles perdus sur des places de marché, engendrant la naissance du mal. Voilà donc un homme qui va droit au but! Nous balancer ce genre d'absurdités d'entrée de jeu, c'est risqué. Mais comme j'aime me laisser envelopper par ce qu'on me donne à voir, surtout quand c'est excellemment filmé et très bien joué, je me suis laissée happer par l'histoire de l'actrice tentée par une aventure avec sa co-star sur le tournage d'un film maudit. Et malgré les petites absurdités parsemées à chaque coin du récit, on déniche un semblant de fil conducteur qui pique notre intérêt: la confusion d'une actrice entre son histoire personnelle et celle de son personnage jusqu'à ne plus savoir si elle est en train de jouer ou si ce qui lui arrive est bien réel. Inutile de dire que Lynch n'aide pas le spectateur à s'y retrouver non plus, bien au contraire! Ajoutez à tout cela des images intrigantes et un son comme toujours irréprochable, et ça y est! Vous êtes définitivement happé dans le film! Et c'est toujours là que Monsieur Lynch, taquin comme pas deux, choisit toujours le moment où notre raison abdique pour laisser la place à une sensibilité à fleur de peau pour filmer les images les plus gênantes et les plus terrifiantes, de celles qui, bien que toutes simples, font appel à nos angoisses les plus refoulées. On aurait presque envie de regarder sous son siège pour voir si ce maudit monstre qu'on croyait toujours caché sous notre lit quand on était petit n'avait pas choisi ce moment particulier pour se glisser sous notre siège et nous attraper les chevilles brutalement afin de nous prouver que ben si!, il existe vraiment!


Laura Dern

Effectivement, on ne comprend rien à Inland Empire. Et effectivement, encore, David Lynch nous assure lui même qu'il n'y a rien de particulier à comprendre. Mais c'est avec un petit éclair de malice au coin de l'oeil que le pauvre réalisateur serine toujours la même chose à des journalistes sans grande imagination. Parce que tout le monde semble attendre d'un film qu'il raconte une histoire qui nous tomberait toute cuite dans le bec, au vu des hurlement indignés qui déjà faisaient suite à la sortie de films comme Lost Highway ou Mulholland Drive. Mais cependant, l'homme était assez prudent pour laisser une trame interprétative pour que les fans les plus intellos et prétentieux puissent échafauder des tonnes de théories plus tirées par les cheveux les unes que les autres, afin qu'ils se tiennent tranquilles. C'est TRES difficile à faire avec Inland Empire. Alors l'idée à la mode en ce moment, même chez certains fans de David Lynch, c'est que ce dernier se moquerait de son public ouvertement. Mais non! Toujours le réalisateur a affiché sa position clairement dans d'innombrables interview qui, de toute façon, sont toutes les mêmes: il n'y a pas de sens particulier à ses films, pas un qui soit primordial sur les autres, au contraire, ils sont faits pour être livrés en pâture à l'imagination de chacun. Il y a autant de films de David Lynch qu'il y a de spectateurs, tous sont ses co-auteurs. Et une telle preuve de confiance serait se moquer de son public?


Justin Theroux, Naomi Watts, Laura Elena Harring (voix)

C'est ainsi que je suis fière d'avoir participé à l'élaboration de ce film superbe, et que je demanderai à Môsieur Lynch de ne pas mettre autant de temps avant de nous en soumettre un autre! Et d'arrêter de fumer comme un pompier car j'aimerais pouvoir être dans l'attente de ses films pendant encore un bon moment!  



Last Days, Gus Van Sant, 2005

Michael Pitt
Beaucoup de fans de Nirvana ont été déçus de ce nouveau film de Gus Van Sant. On peut sans doute dire merci aux médias, et aux fans bêtes et méchants qui n'avaient retenu que le nom de Kurt Cobain dans le sujet du nouveau film du cinéaste qui, lui, précisait bien que l'intéressait surtout le fait divers que constitue le suicide du chanteur, et ce qui a pu se passer dans son esprit les jours précédents. Et les journaux, avides de sensationnel, de laisser traîner leurs oreilles opportunisto distraites, et d'ainsi associer le nom d'Asia Argento à la figure de Courtney Love et le reste du casting aux membres du groupe. Voilà Gus Van Sant affublé de la lourde tâche de réaliser une simple reconstitution, de celles qui seraient susceptibles d'être la figure de proue d'une soirée-thema d'Arte le dimanche soir, tout au plus. Un parcours guidé pour fans feignants, qui aimeraient les compils illustrées.


Les premières images apparaissent, le visage sous ses cheveux blonds et le reste perdu dans son grand pull rayé rouge et noir, Michael Pitt fait illusion à la perfection ; Gus quant à lui, reste réservé, avoue puiser l'inspiration dans l'histoire de Kurt, et brouille les pistes jusqu'à modeler son acteur en parfaite réplique du chanteur, accessoires à l'appui. Mais quand on connaît l'animal et son Elephant, on se méfie ("inspiré" de la fusillade de Colombine, il n'en est pas la reconstitution exacte). D'ailleurs, aucune photo d'Asia en blondasse barbouillée de rouge à lèvre, son poupon sous le bras et les cernes jusqu'au milieu des joues, pas d'éventuels Dave Grohl ou Krist Novoselic... Gus, lui, livre apparemment ce que l'on veut qu'il dise, docile en apparence, mais le regard amusé. Etrange.


Michael Pitt
Puis un mardi soir, on s'assoit dans la salle de cinéma en ayant pris soin de rester vierge de toute lecture critique, mais ayant aussi pris celui d'amasser une jolie petite collection d'articles pour la fin de soirée. Et là, on découvre un film magnifique de pudeur, de poésie et effectivement imprégné de Kurt Cobain. Blake porte ses traits, c'est indéniable, et sa musique s'en rapproche beaucoup, ça ne l'est pas moins. Sa démarche, son regard, sa façon de jouer, ses menus (les fameux macaroni au fromage et au lait qui font tant jaser les fans), sa dépendance à la drogue (toujours suggérée), sa femme et sa fille absentes mais évoquées dans le film, sa narcolepsie...


Michael Pitt

Et puis on se laisse porter par l'ambiance, les allées et venues de Blake, ses grommellements le fourmillement des visiteurs et habitants de la maison. On n'oublie pas la figure de son "idole" si facilement alors on laisse parfois se mélanger le visage de Michael Pitt et celui de Kurt. Mais on découvre également Blake, on s'attache à lui, cet ectoplasme déjà mort pour ses colocataires, qui ne l'aperçoivent même plus, uniquement quand ils ont besoin de lui. On le regarde, on l'écoute, et on le ressent: le son est très important, très présent dans Last Days. Normal me direz-vous pour un film dont le héros est un musicien. Mais ici, c'est la collaboration avec Hildegard Westerkamp (encore "les portes de la perception", comme dans Elephant) qui est la plus remarquable: ces bruitages semblent directement émaner de l'esprit de Blake, ce qui nous le rend d'autant plus proche. Puis arrive cette scène superbe (la plus belle et la plus impressionnante du film) où l'on commence à saisir ce qui nous fascine: la maison est déserte, Blake/Michael pénètre dans la salle de musique et se met à jouer alors que la caméra et son réalisateur se tiennent à l'écart et l'aperçoivent se démener derrière la fenêtre. On se rend compte alors que c'est la pudeur avec laquelle Gus Van Sant capte les moments les plus intimes de son personnage qui nous émeut tant. On continue alors à se laisser porter. Jusqu'à la fin, connue de tous, mais encore une fois interprétée par le réalisateur, où la violence des faits réels se transformée en envol poétique d'une âme confinée dans un esprit fatigué (non, Blake ne se sert PAS de sa carabine). Les "chanteurs du roi" chantent la "victoire" de Blake sur ce monde, et celle de Gus Van Sant sur les fans les plus malveillants.


Michael Pitt

Car si les derniers détails de la vie du chanteur sont repris de façon méticuleuse, il le sont pour mieux nous tromper: Gus Van Sant choisit de porter à l'écran la seule partie de la vie de Kurt Cobain qui ne soit connue de personne. Disparu aux yeux des médias, de son entourage, de sa famille même (Courtney Love avait fait engager un détective privé pour le retrouver, autre détail présent dans la fiction), les seuls éléments que l'on a pu connaître de ces "last days" sont ceux qui ont été mis à jour par les enquêteurs. Le réalisateur est alors libre de laisser cours à son imagination, son intuition pour finalement nous laisser cette touchante interprétation, contenue toute entière dans l'une des dernières images de ce petit chef d'oeuvre: l'esprit angélique de Blake matérialisé sort de son corps, pour grimper aux traverses de la porte-fenêtre, et s'élever par le biais de cet "escalier pour le paradis". Alors que ces mêmes fans bêtes et méchants arrêtent de râler car on n'entend aucune des chansons de Nirvana, qu'on ne voit pas les autres membres du groupe, qu'on ne voit pas de scène de concert, qu'on ne voit pas Courtney Love... Il existe des documentaires, des live du groupe qui seront, cette fois-ci on ne peut plus fidèles à la réalité. Et quel plus bel hommage un fan peut-il espérer que la transfiguration de son idole en un si bel ange?


J'ai énormément aimé Last Days, je suis une fan de Nirvana de la première heure.

In Her Shoes, Curtis Hanson, 2005


Cameron Diaz, Toni Colette


Le nom de Curtis Hanson me paraissait incompatible avec les "comédies romantiques" d'ordinaire réservées aux filles, comme pouvait le laisser croire l'affiche de ce film qui, pourtant, récoltait d'assez bonnes critiques. On ne peut pas dire, me semble-t-il que le superbe LA Confidential corresponde à cette catégorie avec son histoire à l'eau de pissenlit de police corrompue, issue de l'esprit sombre de James Ellroy.


Prenons donc Rose et Maggie, deux soeurs improbables, l'une aussi blonde et mince que l'autre est brune et enrobée. La blonde est volage et bébête, la brune est intelligente et avocate. Et lorsque la petite blonde attire un des rares mecs de sa soeur dans son lit et que cette dernière le découvre, l'effondrement est inévitable. Ca fleure le cliché si fort, que l'on se dit qu'il y doit y avoir un truc. 

Cameron Diaz

Et c'est là que Curtis Hanson, se basant sur l'histoire de Jennifer Weiner (In her shoes est tiré du roman du même nom), colle à sa réputation en en faisant un bon film: on s'aperçoit très vite que la blonde n'est pas bête, mais en est simplement persuadée, et que la brune n'est pas si vouée à la solitude que ça. Nous voilà donc face à un pied de nez aux clichés sur les blondes et les brunes plus qu'efficace, dans la mesure ou l'on croyait avoir à faire à un énième film frivole traitant de cette même contradiction. Détournement réussi!


Le film nous fait alors la leçon sur les dangers de se fier aux apparences, l'on pouvait s'y attendre. Mais là où de nombreux prédécesseurs du genre s'arrêtaient là, celui-ci nous pousse à réfléchir sur le fait qu'effectivement l'apparence pousse souvent les gens vers un jugement hâtif, mais qu'en plus de ça, elle peut dangereusement influer sur l'image que l'on a de nous-même et nous brider en nous empêchant d'exploiter des capacités que l'on pensait ne pas avoir, "étant blonde" ou "étant brune" pour caricaturer.


En définitive, j'ai été surprise par un film très bien interprété (Cameron Diaz est très touchante dans son rôle) et qui, malgré son apparente soumission aux clichés du film à l'eau de rose, nous pousse à réfléchir sur un sujet assez important dans notre monde où le diktat de la mode devient de plus en plus encombrant...

Sin City, Roberto Rodriguez et Frank Miller, 2005

Carla Gugino, Mickey Rourke

Est-il nécessaire d'avoir pris connaissance de l'oeuvre de Frank Miller afin d'apprécier Sin City? Non. Est-il nécessaire d'avoir pris connaissance de l'oeuvre de Frank Miller afin de BIEN apprécier Sin City? Sans doute. En cela réside le problème.


Bien calé dans son siège, on est emballé, charmé, hypnotisé. Les pupilles dilatées par l'obscurité de la salle sont avides d'images délicieusement frappantes et sont rassasiées, masochistes occasionnelles qui n'attendent que de se faire violenter de la sorte. Roberto Rodriguez se fait pardonner (enfin) de The Faculty et autres Desperado à coup de grisaille rehaussée de giclées de couleurs brutes, aussi primaires que les âmes et personnages qu'elles déguisent.


La galerie de portraits est impressionnante, dévoilée au préalable par le générique qui laisse défiler les noms d'acteurs tous meilleurs les uns que les autres, présentés sous les traits de leurs alter-ego scénarisés et dessinés. 


Elijah Wood
Le film s'ouvre ainsi sur trois histoires aussi noires qu'elles sont habillées de cette grisaille parfois colorisée, de façon symbolique la plupart du temps. Jolie façon d'atténuer la violence des geysers sanguinolents. Marv hurle et dégomme, Dwight poursuit, et Hartigan se fait poursuivre. Les personnages secondaires magnifient et assaisonnent cette mixture scénaristique qui interpénètre, croise, mêle les histoires les unes aux autres. On pense à Pulp Fiction (et oui! ENCORE!), mais surtout aux polars à l'ambiance aussi encrassée que les mains de leurs héros. La caméra de Rodriguez filme de manière assurée, virevolte quand il y en a besoin et heureusement, on ne pense pas à Matrix (et oui! ENFIN!).


Où est donc le problème? Trop d'esthétique tue l'esthétique? Peut-être, ça frise parfois l'excès de zèle. Une bande dessinée a sa propre "personnalité", inutile de simplement la transposer au cinéma: les deux domaines abritent des oeuvres qui se construisent selon des critères radicalement différents.

Rosario Dawson, Clive Owen

Et si l'on cherchait du côté du scénario (pardon Frank Miller)? Ces "instantanés dans la vie de..." ont un fort goût de reviens-y. Et encore une fois, on pense à Pulp Fiction et l'on se fait donc la même réflexion: c'est aussi frustrant! Là encore se dresse la question que je posais au début de mon verbiage: est-il nécessaire de connaître l'oeuvre de Frank Miller afin de BIEN apprécier Sin City? La réponse se précise vers l'affirmative.


En définitive, le film plait beaucoup, mais l'envie d'aller voir du côté des dessins dont il est inspiré est la plus forte. Certains soutiennent que les images de Frank Miller sont plus que fidèlement reconstruites, elles sont décalquées pour être mises en mouvement. Ca tape à l'oeil mais ne poursuit pas le chemin jusqu'au cerveau. Ainsi le film perd-t-il un peu en intérêt, et semble-t-il la parfaite retranscription sans fautes de copie qui vaudrait à l'élève Rodriguez la note maximale dans son domaine: un parfait exercice de style.

Mulholland Drive, David Lynch, 2001


Laura Elena Harring, Naomi Watts

Essayez donc de tendre l'oreille à la sortie du film, c'est peut-être le seul pour qui se promener à la sortie des salles n'est pas dangereux quant à la préservation du suspens : " j'ai rien compris ", " tu sais qui c'est toi ce mec qu'on voit à un moment ? "… Après tout, c'est un film de David Lynch.

Les journaux nous ont prévenus : Mulholland Drive est une route sinueuse qui serpente jusqu'à la colline de Hollywood, Mulholland Drive est un film où l'histoire se soumet à des virages à 180° si ce n'est que la voiture sort de la route secouée de moult tonneaux. Les novices en matière d'histoires "lynchiennes" risquent d'être décontenancés voire frustrés. Je dirais, amusée, que pour certains Lynch méritera d'être lynché pour les laisser dans une brume où se fond des bribes d'histoire… Mais les amateurs se régalaient d'avance et n'ont pas été déçus et finalement beaucoup de prétendants au baptême cinématographique ont tout à fait accepté de simplement se laisser porter… malmener ?





Il est difficile d'évoquer l'histoire sans altérer la surprise que l'on reçoit au dernier tiers du film. Je vous dirai simplement que tout commence avec cette brune plantureuse, miraculeusement sortie d'un accident de voiture qui malgré tout l'aura sauvée d'un assassinat. Secouée, visiblement amnésique, elle se réfugiera dans un appartement de Sunset Boulevard dans lequel arrivera Betty, petite blonde prétendante à une carrière de star, armée de toute sa naïveté et son enthousiasme presque énervant, certainement entaché de ridicule. C'est ce même enthousiasme qui la poussera à enquêter avec cette fille qui se prénommera elle-même Rita, " comme dans les films ", afin de lui redonner son passé. Cependant, comment parler de ce jeune réalisateur égocentrique qui se voit imposer une illustre inconnue comme premier rôle de son film ? De ce mystérieux bonhomme qui semble diriger toute l'industrie cinématographique d'une façon presque paranormale ? De ce Cow-Boy irréel ? De ce petit gars qui fait un cauchemar mortel ? Et ce tueur à gages nullissime qui rate tout ce qu'il entreprend ? Pas de véritable importance lorsque l'on croit finalement reconstituer à peu près le puzzle…Mais on se sent un peu bête lorsqu'au même moment il vole en éclats pour plonger tous ces personnages dans une sorte d'univers parallèle où ils évoluent parfois sous des noms différents, parfois avec des personnalités complètement différentes, comme si les identités étaient brusquement devenues interchangeables.

Laura Elena Harring

Difficile d'aller plus loin car à partir de là, ce que l'on croyait clairement établi depuis le début s'écroule et l'on est bringuebalé entre le passé et le présent de personnages qui ont perdu tout repère, et c'est là le point fort de David Lynch : la capacité de nous projeter dans la tête de quelqu'un livré à ses pulsions et ses sentiments dévastateurs. Ce peut-être assez perturbant mais cependant très intéressant d'expérimenter les hallucinations et les angoisses de quelqu'un dévoré d'envie, de colère et tous ces sentiments violents mais pourtant obsédants, ceux qui prennent en otage l'esprit d'une personne sans qu'elle puisse se défendre. Nous, pauvres gens équilibrés (dans la mesure du possible), nous sentons brusquement tout petits devant cet étalage de désespoir colérique.


Naomi Watts

Reste pour dédramatiser, l'humour cynique de David Lynch, les images superbes et le mythe hollywoodien touché de près, même s'il se désagrège ensuite. Je vous le redis encore, même si c'est un film que j'ai véritablement adoré et qui m'obsède encore depuis trois mois (et je ne suis pas la seule, croyez-moi), j'aimerais que tout le monde puisse l'apprécier de cette façon. Cependant, il est vrai que c'est impossible et je préfère vous prévenir que si vous n'appréciez que les histoires linéaires et compréhensibles de but en blanc, mieux vaut ne pas tenter l'expérience, car vous vous sentiriez réellement frustrés. Par contre si vous aimez l'univers de David Lynch, si vous avez aimé Lost Highway, Twin Peaks ou Blue Velvet, je vous promets que Mulholland Drive garantit des débats effrénés sur une histoire complexe, labyrinthique et génératrice de tant d'interprétations…