Carolina Gruzska |
Inland Empire est mon petit événement personnel. Depuis six ans que David Lynch nous couvait quelque chose,
le voilà qui accouche d'un nouveau machin bizarre à consommer avec plus ou
moins de modération. Le truc, c'est que moi j'adore faire des overdoses de ces gourmandises
là. J'avais cependant un peu peur d'être déçue après avoir entendu certains
dire que ce dernier film était une bouillie inassimilable pour l'esprit, suite
sans logique de scènes plurivoques. Je m'attendais à manger du David Lynch en
crise de mysticisme et de philosophie de l'absurde caricaturale, sur le bord du
précipice desquels il aime parfois se promener dangereusement.
Et bien j'ai cru avoir raison
lorsque, malgré une introduction tonitruante à vous en mettre des frissons qui
a eu le mérite de faire sursauter la salle en choeur dès le générique, une vieille femme vient expliquer à sa voisine qu'hier c'est en réalité
demain pour ensuite lui raconter d'énigmatiques histoires de petits garçons et
petites filles perdus sur des places de marché, engendrant la naissance du mal.
Voilà donc un homme qui va droit au but! Nous balancer ce genre d'absurdités
d'entrée de jeu, c'est risqué. Mais comme j'aime me laisser envelopper par ce
qu'on me donne à voir, surtout quand c'est excellemment filmé et très bien
joué, je me suis laissée happer par l'histoire de l'actrice tentée par une
aventure avec sa co-star sur le tournage d'un film maudit. Et malgré les
petites absurdités parsemées à chaque coin du récit, on déniche un semblant de
fil conducteur qui pique notre intérêt: la confusion d'une actrice entre son
histoire personnelle et celle de son personnage jusqu'à ne plus savoir si elle
est en train de jouer ou si ce qui lui arrive est bien réel. Inutile de dire
que Lynch n'aide pas le spectateur à s'y retrouver non plus, bien au contraire!
Ajoutez à tout cela des images intrigantes et un son comme toujours
irréprochable, et ça y est! Vous êtes définitivement happé dans le film! Et
c'est toujours là que Monsieur Lynch, taquin comme pas deux, choisit toujours
le moment où notre raison abdique pour laisser la place à une sensibilité à
fleur de peau pour filmer les images les plus gênantes et les plus
terrifiantes, de celles qui, bien que toutes simples, font appel à nos
angoisses les plus refoulées. On aurait presque envie de regarder sous son
siège pour voir si ce maudit monstre qu'on croyait toujours caché sous notre
lit quand on était petit n'avait pas choisi ce moment particulier pour se
glisser sous notre siège et nous attraper les chevilles brutalement afin de
nous prouver que ben si!, il existe vraiment!
Effectivement, on ne comprend
rien à Inland Empire. Et effectivement, encore, David Lynch nous assure lui
même qu'il n'y a rien de particulier à comprendre. Mais c'est avec un petit
éclair de malice au coin de l'oeil que le pauvre réalisateur serine toujours la
même chose à des journalistes sans grande imagination. Parce que tout le monde
semble attendre d'un film qu'il raconte une histoire qui nous tomberait toute
cuite dans le bec, au vu des hurlement indignés qui déjà faisaient suite à la
sortie de films comme Lost Highway ou Mulholland Drive. Mais cependant, l'homme
était assez prudent pour laisser une trame interprétative pour que les fans les
plus intellos et prétentieux puissent échafauder des tonnes de théories plus
tirées par les cheveux les unes que les autres, afin qu'ils se tiennent
tranquilles. C'est TRES difficile à faire avec Inland Empire. Alors l'idée à la
mode en ce moment, même chez certains fans de David Lynch, c'est que ce dernier
se moquerait de son public ouvertement. Mais non! Toujours le réalisateur a
affiché sa position clairement dans d'innombrables interview qui, de toute
façon, sont toutes les mêmes: il n'y a pas de sens particulier à ses films, pas
un qui soit primordial sur les autres, au contraire, ils sont faits pour être
livrés en pâture à l'imagination de chacun. Il y a autant de films de David
Lynch qu'il y a de spectateurs, tous sont ses co-auteurs. Et une telle preuve
de confiance serait se moquer de son public?
Justin Theroux, Naomi Watts, Laura Elena Harring (voix) |
C'est ainsi que je suis fière
d'avoir participé à l'élaboration de ce film superbe, et que je demanderai à
Môsieur Lynch de ne pas mettre autant de temps avant de nous en soumettre un
autre! Et d'arrêter de fumer comme un pompier car j'aimerais pouvoir être dans
l'attente de ses films pendant encore un bon moment!
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